Policiers indemnisés deux fois, déplacements « privés »… ces lacunes qui persistent dans la gestion du budget de l’Elysée
René Dosière, ancien député spécialiste de l’Elysée et président de l’Observatoire de l’éthique publique admet une amélioration sensible de la gestion des dépenses de la présidence de la République, constatée dans le dernier rapport de la Cour des comptes. Mais il déplore la persistance de nombreuses lacunes, notamment dans le suivi des rémunérations et la mise en œuvre d’une véritable déontologie.

La présidence de la République vient de recevoir les félicitations de la Cour des comptes, qui contrôle son budget chaque année depuis 2009. « Les améliorations constatées au cours des années précédentes en matière de gestion budgétaire et comptable, conformément aux observations de la Cour se sont prolongées », lit-on dans le dernier rapport publié le 18 juillet. De plus, ajoute la Cour, « la présidence a franchi un seuil déterminant en matière de développement durable : elle est passée d’actions ponctuelles à une politique structurée, pilotée, mesurée et financée ».
De quoi faire rougir de plaisir la direction générale des services à l’origine de ces améliorations et, en même temps, réduire au silence tous ceux qui s’intéressent aux dérapages financiers de l’Elysée. On constate d’ailleurs cette année un certain manque d’intérêt pour ce rapport. Pourtant la lecture attentive des 74 pages de la Cour des comptes permet de nuancer la tonalité bienveillante de ce contrôle et de découvrir quelques pépites.
Une dotation de l’Etat en forte hausse
Je rappelle tout d’abord que le budget 2024 de la présidence de la République est modeste, avec 123,3 millions d’euros de dépenses et 130 millions de recettes, soit un excédent de 6,7 millions succédant à un déficit de 8,3 millions en 2023. Il est vrai que la dotation de l’Etat, qui constitue la quasi-totalité des recettes, a augmenté de 11 %. S’est ajouté à cela une bonne surprise non prévue et tout à fait conjoncturelle, en l’occurrence le versement de 3 millions de produits financiers liés à l’évolution d’un indice européen devenu favorable (entre 2017 et 2022 pas un centime d’euro n’a été versé à ce titre).
Au fil de la lecture de ce rapport, on découvre que certaines recommandations importantes « évoquées depuis de nombreuses années » continuent toutefois à être ignorées. Ainsi, l’absence d’une comptabilité analytique qui permettrait, en répartissant les charges de personnel (822 personnes fin 2024), de mieux connaître la réalité des dépenses. Le coût d’un déplacement ou d’une réception ne comprend pas actuellement la dépense salariale !
Une lacune problématique. Ainsi, les policiers affectés au GSPR (Groupement de sécurité de la présidence de la République) continuent à être indemnisés deux fois : « une première fois par la présidence avec le versement de l’indemnité de sujétions particulières (ISP) et une deuxième fois par la récupération de ces mêmes heures qui pèse sur le budget du ministère de l’Intérieur ». Relevé pour la première fois en 2020, ce système un peu étonnant fait, depuis, l’objet d’une « réflexion » de la présidence…
Enfin, s’agissant des déplacements du président de la République, dont le coût unitaire a diminué (suite aux critiques du rapport de l’an dernier), de nombreux progrès restent à faire en matière de pilotage et de maîtrise des dépenses. Le déplacement de 12 heures en Nouvelle-Calédonie est le plus cher (1,4 million d’euros, hors frais de personnel), suivi du voyage de 5 jours en Guyane et au Brésil (1,2 million).
Défaillance des véhicules électriques
Par ailleurs, le rapport comporte de nombreuses pépites. La réfection complète des cuisines (après 75 ans d’activité !) a permis de diviser par quatre le coût des grands repas d’Etat. Le « verdissement » du parc automobile de l’Elysée est en cours, mais l’utilisation de véhicules blindés (comme la DS 7 qui accompagne le président lors de ses déplacements lointains) est limitée par l’insuffisance de puissance électrique au palais de l’Elysée.
Le chapitre particulier habituel consacré à l’activité propre de l’épouse du président (dont le coût de 316 980 euros fait partie intégrante du budget) signale qu’en 2024, 10 688 courriers ont été adressés à Madame Macron, ce qui constitue le chiffre le plus faible depuis 2017 (le record a été atteint en 2020, avec 25 000 courriers). Une cérémonie d’hommage à une personnalité décédée (cinq en 2024) coûte en moyenne 61 000 euros ( + 33 % de plus qu’en 2023). Les dépenses privées du couple présidentiel (repas de famille, déplacements, menues dépenses) sont remboursées : 9 894 euros en 2024 (7 781 euros en 2023). On apprend qu’un déplacement privé du président, au demeurant rare, est soumis aux mêmes règles de sécurité et de logistique qu’un déplacement officiel, ce qui relativise l’appellation « privé » et justifie l’utilisation d’un avion gouvernemental.
Pour améliorer ses recettes, l’Elysée a ouvert un espace baptisé « Maison de l’Elysée » (coût 5 millions) dans un local devenu disponible en face de la présidence. On y trouve une boutique de vente de produits dérivés, un espace muséal mettant en valeur le mobilier de l’Elysée (en particulier une reconstitution du bureau occupé par les présidents de la Ve République) et dévoilant les coulisses du Palais (métiers, arts de la table), ainsi qu’un salon de thé avec dégustation de pâtisseries préparées par les cuisines de l’Elysée. Cette initiative intéressante rencontre une fréquentation populaire qui doit croître sensiblement pour équilibrer les charges de fonctionnement (1,2 million d’euros). La Cour estime que cet équilibre pourrait être atteint à compter de 2029.
Toujours pas de déontologue
Au gré des divers chapitres de ce rapport, la déontologie est évoquée, souvent de façon elliptique. On apprend que la charte de déontologie élaborée sous le mandat de François Hollande (en 2014) a été actualisée en 2023, mais son contenu n’est pas public (contrairement à la précédente). Elle comporte, nous dit la Cour, l’ensemble des règles et consignes devant être mises en application au sein de la présidence en matière d’avantages, cadeaux et invitations reçus. A l’origine, son application devait être confiée à un déontologue, réclamé par l’Observatoire de l’éthique publique en 2023, dont la nomination devait intervenir rapidement. Cette nomination n’est toujours pas intervenue alors que le rapport de la Cour souligne des anomalies dans ce domaine.
Ainsi, en 2024, deux personnes entrantes (sur 15) et trois conseillers sortants (sur 19) avaient omis leurs obligations déclaratives auprès de la HATVP (Haute autorité pour la transparence de la vie publique), proportion anormalement élevée. La Cour explique ces « difficultés » par le rythme des arrêtés de nomination, alors qu’un référent déontologue serait plus utile. Par ailleurs, il apparaît que 29 objets de valeur mis en dépôt par le Mobilier national sont dits non vus (en clair ont disparu) depuis 2019, alors qu’une procédure interne de suivi des objets existe depuis plusieurs années. Enfin, la concession des 55 logements situés au Palais de l’Alma (une annexe de l’Elysée) mérite d’être revue, certains étant occupés sans paiement d’une redevance et les autres loyers pratiqués sont significativement minorés.
Les recommandations formulées au fil des 16 rapports, de plus en plus complets, de la Cour des comptes sur la gestion des services de la présidence de la République, généralement suivies d’effet, et les orientations données par les trois présidents de la République concernés, ont complètement transformé l’administration présidentielle qui n’a plus rien à voir avec le musée des horreurs administratives qui préexistait. Aujourd’hui, la présidence de la République est l’institution publique la plus contrôlée en France et sans doute (faute d’analyses rigoureuses) de ses homologues étrangers comparables. Pour autant, et malgré la modestie de son budget (qui reste à compléter avec quelques financements subsistant dans les ministères), le caractère visible et symbolique de l’Elysée mérite une gestion exemplaire ce qui implique la transparence sur le budget, le contrôle indépendant de la Cour des comptes et celui du Parlement, ainsi que l’intérêt critique des médias.
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Publié le 23/07/2025 ∙ Média de publication : Challenges
L'auteur

René Dosière
Président - Député honoraire